Les historiens et les économistes n'ont guère pris en considération, jusqu'à maintenant, le programme révolutionnaire des masses paysannes dans la Révolution française : l'égalitarisme absolu. Pourtant, son étude remet fondamentalement en question l'interprétation du mouvement paysan, considéré traditionnellement comme rétrograde et conservateur. C'est cette étude que Florence Gauthier entreprend ici méthodiquement, par un remarquable travail d'enquête et de défrichage, en allant aux sources sur le terrain d'une région précise et délimitée. Certes, le mouvement de partage des terres s'est d'abord porté sur la propriété communale, et cela révèle la conscience que la paysannerie avait de son histoire la plus lointaine : celle de la communauté primitive antérieure à la propriété individuelle et à la division de la société en classes. Ce mouvement n'était pas pour autant communiste : l'idée même du partage contredit cette notion ; il était plutôt revendication de la gratuité de la terre, instrument de travail élémentaire du paysan. L'égalitarisme absolu tendait à instituer une société de petits producteurs libres, indépendants et individualistes ; une telle société constituait la solution réelle à la crise agraire, mais aussi une transition démocratique au capitalisme : on en trouve un exemple aux États-Unis, au XIXe siècle, où le partage noir permit aux petits colons d'obtenir gratuitement leurs terres. En France, l'échec du mouvement de partage du sol a empêché l'épuration radicale des rapports féodaux, en conservant des formes de grande propriété rétrograde, en particulier dans l'Ouest et le Sud-Ouest. Mais la Révolution française, révolution principalement paysanne, a provoqué une explosion sans précédent de l'égalitarisme agraire absolu ; le programme en sera repris et réalisé, au XXe siècle, par les révolutions russe ou chinoise, dans lesquelles le mouvement égalitariste représenta l'étape de la révolution démocratique, étape nécessaire comme transition au socialisme.