Depuis le début de ce siècle circule à Cavanac, près de Carcassonne, un manuscrit anonyme qui relate en détail une biographie, celle de Pierre Sourgnes, dit l’Antougnou. Le « roman » nous apprend qu’à la suite du différend qui l’opposa à sa mère à propos d’une passion amoureuse, le jeune homme, dans l’été de 1837, prit le maquis ; sa carrière de brigand, riche en coups d’éclat s’acheva tragiquement quatre ans plus tard... Dans la multitude des récits que suscita la brièveté intense de cette vie, Dominique Blanc et Daniel Fabre ont isolé les trois canevas qui donnent à ce destin un sens tout différent. La « vérité » de l’Antougnou n’est que le système complet de ces variantes : il est tour à tour criminel monstrueux, bandit d’honneur et passionné révolté contre l’ordre du village, selon la position que chaque narrateur, chaque groupe social lui assigne. Depuis une vingtaine d’années, ethnologues et historiens débattent du bandit, opposant la réalité de ses méfaits aux prestiges illusoires de sa légende ou remplaçant la singularité insaisissable du brigand par l’anonymat du brigandage. Le cas de l’Antougnou invite à déplacer la perspective. La biographie du brigand est bien le lieu où s’affrontent toujours des fictions contradictoires mais elle offre aussi, depuis le XVIIIe siècle, l’occasion de fonder, sur l’écrit et l’image, un héros singulier autour duquel se cristallise toute l’histoire autochtone.