Au titre de la corvée royale, dite aussi des grands chemins, les habitants de nombreuses communautés riveraines d'un axe routier furent contraints pendant la majeure partie du xviiie siècle de fournir quelques jours de travail pour sa construction ou son entretien. Décrié comme arbitraire, oppressif et inefficient, ce système de réquisition œuvra puissamment à l'extension du réseau routier et indirectement à l'essor des mobilités et des circulations marchandes. C'est ce paradoxe que cherche à comprendre ce livre en se dégageant d'une représentation critique de la corvée, largement construite par le discours libéral des Lumières qui en fit une institution fondamentalement incompatible avec ses idéaux et la croissance économique. Or la décision de recourir à la corvée en travail et les modalités de son fonctionnement présentent une certaine rationalité dans le contexte dans lequel elle s'inscrit. Cette institution va se trouver travaillée dans la seconde moitié du xviiie siècle par des dynamiques sociales et économiques elles-mêmes fortement marquées par des différenciations spatiales. La transition entre une prestation en nature attachée à un statut fiscal et un impôt destiné à financer du travail salarié constitue alors plus largement un observatoire de l'action politique, de dynamiques économiques et de représentations sociales.