On a pu parler d’une pathologie du progrès, des statistiques venant sans cesse nous prouver que, dans les pays où le développement matériel et intellectuel atteint son plus haut point, le nombre ou la virulence de certains maux s’accroît. La plupart de ces maux sont d’origine nerveuse et, quelques affections nettement somatiques mises à part, ce qu’on a appelé « les maladies de la civilisation » ont leur siège dans notre esprit et leur source dans les conflits d’ordre psychologique. Les formes de ce désaccord entre l’homme et un monde où il se perd dans le désordre de ses créations, cède à la frénésie du progrès et souffre de la dépersonnalisation due à l’envahissement de la technique ou à l’adoption de modes de vie collective, sont examinées, une à une, dans ce livre, résultat d’une longue étude menée avec le concours de sociologues, de médecins et de psychologues. S’arrêter au bilan ainsi obtenu, qui légitimerait toutes les inquiétudes, serait toutefois ne montrer que quelques-unes des vérités de notre époque. On ignore trop souvent encore que le progrès tend également à augmenter le pouvoir intellectuel de l’être humain. L’incohérence, l’empirisme qui marquent le développement de la société et le désarroi qu’ils provoquent pourraient disparaître le jour où la science nous aurait dotés d’une intelligence plus grande et d’une meilleure organisation mentale. Rien de positif n’est encore obtenu dans ce domaine, malgré les nouvelles méthodes de psychothérapie qui éliminent un grand nombre de troubles, mais il était nécessaire de voir, auprès des spécialistes de la psychophysiologie et de la biologie, si nous approchons du « temps des génies ». La perspective d’une telle transformation de l’être humain dans ce qu’il a d’essentiel ne va pas sans provoquer une sorte de vertige. L’accroissement des troubles mentaux et nerveux dans les pays développés crée un égal vertige et c’est l’existence de ces deux abîmes : l’abîme d’une dégénérescence morale de l’espèce et l’abîme d’un avenir supra-humain, qui justifie le titre de cet ouvrage, examen de conscience autant que diagnostic.