L’objectif de ce numéro est de lire, éclairer et analyser quelques-uns des liens entre épidémies et mort. Il ambitionne notamment de mieux comprendre les relations qui se construisent en période épidémique entre les vivants d’une part, et les proches en fin de vie ou décédés d’autre part. Comment, dans de telles situations de crise, les individus, les familles, les populations, adaptent-ils leurs pratiques d’accompagnement et de soins des morts; comment les autorités sanitaires et les acteurs institutionnels ou professionnels gèrent-ils cette articulation entre exigences biosécuritaires et impératifs funéraires. Évènements majeurs dans l’histoire de l’humanité, les épidémies – dont la COVID-19[1] n’est que l’avatar le plus récent – induisent de multiples transformations des relations entre les vivants et leurs morts, et – par extension – avec la mort de manière globale. Bien des pays dits « riches », dans lesquels les États et les populations imaginaient que de tels évènements étaient enfouis dans les méandres de leur passé ou réservés à d’autres aires géographiques, viennent de vivre douloureusement – le plus souvent dans le silence du moment – ce que mourir en temps d’épidémie signifie. Plusieurs régions, notamment dans les Nords, ont été confrontées à des contextes de mort de masse. Des images insoutenables ont fait le tour du monde dans les médias ou sur les réseaux sociaux, par exemple en Lombardie (figure 1) au nord de l’Italie (Alfieri et al., 2022, 2020; Sams et al., 2021). De nombreux pays qui n’avaient plus connu de tels évènements depuis bien longtemps viennent d’être confrontés à des récits de décès dans des conditions qui leur semblaient jusqu’alors inenvisageables, impossibles sous leurs latitudes, d’un autre âge. Beaucoup parmi les familles, les soignants ou encore les bénévoles d’associations ont été projetés, sans préparation, au coeur de la gestion de situations de mort à distance, de mort sans contact, de mort sans les proches, de mort sans rituel, de mort dans la solitude.