Des générations ont à la fois fait et défait l’époque. Elles l’ont faite par la victoire des technologies et la transmission de l’ « intelligence » aux machines. Elles l’ont défaite en cédant à la fascination de la puissance, en subissant la fatalité du tragique, ensuite en perdant la maîtrise de la Grande Transformation provoquée. Des générations neuves émergent dans une surmodernité continûment accélérée qui ne laisse rien en l’état. Le tournant s’effectue, à la fin du siècle passé, avec l’extension inouïe d’une réalité dite numérique, avec la transfiguration vitaliste de l’espérance.
Les uns s’égarent dans les nouveaux temps, ils savent en utiliser les moyens, mais méconnaissent ce qu’ils y deviennent : ce sont des usagers. Ils s’allient à des machines complexes, à des systèmes experts, ils restent pourtant attachés à la pensée d’hier pour gouverner aujourd’hui. Les autres naissent avec les mondes émergents qui produisent l’époque : ce sont les leurs. Ils subissent cependant les maux d’une transition abandonnée à des puissances cachées. Ils ne supportent plus, s’indignent ou se révoltent, ils refusent le carnaval des apparences, ils explorent de nouveaux commencements.
A sa façon, ce texte est un discours à la jeunesse et une ouverture proposée à l’espoir.
Anthropologue, sociologue et écrivain, Georges Balandier, 91 ans, est l'auteur d'une trentaine d'ouvrages de référence sur les mythes et les "tendances" des sociétés traditionnelles et contemporaines.