Dès le moment que l'on commença à étudier plus intimement l'histoire du Canada, on sentit de suite la nécessité de recourir aux sources, et de s'appuyer sur des documents irréprochables. Naturellement, l'historien devait tout d'abord porter ses regards sur l'un des plus anciens, comme des plus fidèles témoins de nos origines canadiennes, sur celui que tout le pays peut à bon droit revendiquer comme son père et son fondateur, sur Champlain. La part immense qu'il prit aux premières fondations tant civiles que religieuses de ce pays, sa droiture, son intégrité, l'étendue et la variété de ses connaissances, la position avantageuse qu'il occupait vis-à-vis des personnages les plus influents de la cour de France, suffiraient sans doute pour donner à sa parole la plus haute autorité. Mais ce qui ajoute encore une valeur singulière aux écrits de Champlain, c'est qu'il est pour ainsi dire le seul de nos plus anciens auteurs que l'on puisse regarder comme source historique proprement dite. Que nous apprend Lescarbot, par exemple, en dehors de ce quiii concerne l'Acadie? Presque tous les détails qu'il nous donne sur le fleuve Saint-Laurent, sur Québec et sur le reste du Canada, il les emprunte à Champlain, quand il ne cite pas Cartier. Sagard lui-même, à part les renseignements qu'il a pu recueillir de la bouche des religieux de son ordre, ne parle souvent que d'après le récit de Champlain, qu'il s'approprie sans lui en tenir compte. Sagard, d'ailleurs, ne fit que passer en Canada, par conséquent, dans bien des cas, il ne peut guères que parler sur le témoignage d'autrui, ce dont nous sommes loin, du reste, de lui faire un reproche. Tandis que Champlain est témoin oculaire de presque tout ce qu'il rapporte, et que son récit a l'immense avantage d'être comme un journal fidèle et régulier, où se trouvent consignées tour à tour les découvertes et les fondations, la narration pure et simple des événements, et l'appréciation des fautes ou des succès qui les accompagnèrent.
La seule importance des ouvrages de Champlain suffisait donc pour en motiver une nouvelle édition. Mais à cette première raison venait s'en joindre une seconde: l'excessive rareté et par suite le prix exorbitant des éditions anciennes. On ne connaît qu'un seul exemplaire du Voyage de 1603, celui de la Bibliothèque Impériale de Paris. L'édition de 1613 est si rare, qu'à peine pourrait-on en trouveriiidix exemplaires dans tout le pays; encore n'y a-t-il que celui de la bibliothèque de l'Université Laval qui soit parfaitement complet, et qui renferme la grande carte de 1612, et les deux tirages de la petite carte. Nous avons nous-même, dans l'intérêt de la présente édition, payé cet exemplaire 500 fr. à Paris (somme que M. Desbarats a eu la générosité de nous rembourser plus tard). L'édition de 1619 est peut-être encore plus rare. Celle de 1632, que l'on trouve aussi très-difficilement, ne se vend pas moins de 200 fr., même sans la carte, et cette carte est si rare, qu'il n'y a, à notre connaissance, que l'exemplaire de la Bibliothèque Fédérale qui la renferme.