Je suis noir, et forcément ça se voit. Du coup les Noirs que
je croise à Paris m’appellent « mon frère ». Le sommes
nous vraiment ? Qu’ont en commun un Antillais, un
Sénégalais, et un Noir né dans le Xème arrondissement,
sinon la couleur à laquelle ils se plaignent d’être
constamment réduits ?
J’oublie évidemment la généalogie qu’ils se sont forgée,
celle du malheur et de l’humiliation – traite négrière,
colonisation, conditions de vie des immigrés... Car par-
delà la peau, ce qui les réunit, ce sont leurs sanglots.
Je ne conteste pas les souffrances qu’ont subies et que
subissent encore les Noirs. Je conteste la tendance à
ériger ces souffrances en signes d’identité. Je suis né
au Congo Brazzaville, j’ai étudié en France, j’enseigne
désormais en Californie. Je suis noir, muni d’un passe-
port français et d’une carte verte. Qui suis-je ? J’aurais
bien du mal à le dire. Mais je refuse de me défi nir par
les larmes et le ressentiment.
A.M.
Alain Mabanckou, prix Renaudot pour Mémoires de
porc-épic (Le Seuil, 2006), est l’auteur chez Fayard de
Lettre à Jimmy (2007).