Pour quoi vivons-nous ?
La question a-t-elle seulement un sens pour nous qui avons pris acte du désenchantement du monde et de la mort de Dieu ? Oui, sans doute, puisque rien n’est plus caractéristique des sociétés occidentales depuis la fin des grandes idéologies que le sentiment du vide, l’aspiration à donner un sens à sa vie.
Au coeur du désarroi actuel, le silence des grandes institutions sur les finalités de l’expérience humaine. A l’ambition politique elles préfèrent la gestion ; au vacarme de la rue, le silence des living-rooms à vingt heures ; à l’imagination, l’apologie de l’immédiateté et de la consommation.
Or cette montée du silence - la fin des questions entraînant celle des réponses et réciproquement -, c’est très exactement ce que les ethnologues ont eu l’occasion de repérer dans les années 1970, quand les rodomontades du colonialisme se sont tues. C’est pourquoi les anthropologues ont, plus que d’autres sans doute, à nous dire sur nos ambivalences actuelles, sur ces conforts que nous souffrons de payer au prix fort, mais aussi sur les voies qu’il nous est loisible d’arpenter pour en sortir. Et d’abord ceci, en forme d’avertissement : le global s’évertue à tuer les fins en faisant mine de les réaliser. Nous n’avons pourtant jamais été aussi près de pouvoir effectivement les percevoir pour ce qu’elles sont : des incitations à la fraternité, à la pensée, au savoir.
Marc Augé est ethnologue, directeur d’études à l’école des hautes études en sciences sociales, dont il a été le président de 1985 à 1995. Après de longues années de travail de terrain, ce sont nos sociétés qu’il a prises comme objets d’études. On se souvient de La Traversée du Luxembourg (1985), d’Un ethnologue dans le métro (1986), de Domaines et châteaux (1992) et, chez Fayard, du Sens des autres (1994) ainsi que de Fictions fin de siècle (2000).